Etat de santé des batteries au lithium (SOH) : beaucoup de problèmes et quelques solutions

L'état de santé (SOH pour "State of Health") de la batterie au lithium qui alimente n'importe quel engin électrique est un souci légitime, car elle a le défaut de se dégrader, un peu avec le temps, mais surtout avec l'usage qu'on en fait, et de perdre ainsi en capacité de stockage et en puissance. Sa connaissance devient même cruciale lorsqu'il s'agit d'un véhicule électrique puisque son autonomie et son prix en cas de revente sont en jeu.

Cependant, les constructeurs automobiles sont jusqu'à présent assez réticents à fournir aisément cette information à leurs clients. Il faut approfondir le sujet, beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, pour comprendre pourquoi et savoir si l'on peut vraiment connaître l'état de santé d'une batterie au lithium, et si oui dans quelles conditions.

Problèmes

le BMS, le côté obscur de la force (1)

Les batteries à technologie lithium ont une chimie particulière qui nécessite d'être contrôlée de près. C'est le rôle d'un élément électronique, le BMS (pour "Battery Management System") qui va récupérer des mesures physiques issues de capteurs placés dans la batterie, et va qui d'abord assurer sa sécurité, en la mettant hors circuit et donc arrêter la charge ou le véhicule s'il le faut, afin que des courants ou des températures hors spécifications ne l'endommagent. Mal gérée, une batterie au lithium peut prendre feu...

Comme une batterie est composée de plusieurs cellules théoriquement identiques mais en réalité au comportement différent, le BMS va aussi assurer la bonne répartition des courants entre elles, afin de les équilibrer.

Ce qui nous intéresse ici, c'est l'autre rôle du BMS qui est de donner des informations utiles au conducteur du véhicule, en priorité bien sûr le niveau de charge actuel (SOC pour "State of Charge"), car c'est mieux pour lui de savoir s'il va bientôt tomber en panne sèche ou pas... C'est aussi le BMS qui va fournir le SOH, nous y voilà.


Le SOH est un calcul du BMS (2)

Etant le résultat de la comparaison entre la capacité actuelle de la batterie avec sa capacité d'origine, le SOH est exprimé en %. Ainsi un SOH à 75% indique que la batterie a perdu un quart de sa capacité d'origine.

Le problème de sa détermination paraît simple : si l'on compare la batterie à un réservoir qui rétrécit avec l'usure, le SOH en est le volume actuel, tandis que le SOC en est la jauge. Pour connaître son volume actuel, il suffit de le vider complètement, puis de le remplir à ras bord et de mesurer combien on a mis dedans. Justement, c'est là que ça se complique.

En effet, techniquement, le SOH, pas plus que le SOC, n'est une mesure physique directe comme on peut mesurer le nombre de litres qu'on a mis dans un réservoir. C'est une estimation faite par un algorithme du BMS, issue de calculs complexes réalisés à partir de mesures directes qu'il compare à des modèles théoriques.


Le calcul précis du SOH demande des calibrations (3)

D'autre part, pour que cette estimation soit la plus précise possible, le BMS doit pouvoir se calibrer de temps en temps avec des mesures effectuées aux extrémités de la plage de charge, idéalement 0% (pour vider le réservoir), et 100% de charge (pour le remplir à ras bord), ce qui n'est pas si fréquent concernant le 0%, puisqu'en général on évite d'être à cours d'énergie en plein trajet.
Un utilisateur soucieux de maintenir sa batterie en vie le plus longtemps possible en suivant le conseil habituel de rester entre 20 et 80% de charge, va en même temps empêcher le BMS de se calibrer... 


Les constructeurs sont juges et parties (4)

Un utilisateur qui constate une forte diminution de son autonomie va devoir aller chez son concessionnaire pour un diagnostic. Dans le cas de batteries en location, donc potentiellement échangées gratuitement, on a malheureusement vu des témoignages de diagnostics aberrants, sans compte-rendu écrit, avec des SOH soit-disant à 100% sur des véhicules vieux de plusieurs années. Mettons gentiment cela sur le compte de l'incompétence, mais au minimum cela souligne la situation de dépendance de l'utilisateur vis-à-vis de la marque, jusqu'à maintenant.


Des constructeurs manipulent le SOH (5)

Beaucoup de constructeurs automobiles brident les performances de leurs batteries neuves, de façon logicielle au niveau du BMS. Leur objectif est de donner une bonne image de durabilité de leur équipement en retardant artificiellement le moment où il faut changer la batterie.

Par exemple, un constructeur peut décider, via le BMS, de limiter les performances de sa batterie neuve à 90% de ses valeurs réelles. Lorsque le client voit le SOH passer sous les 75% fatidiques de la garantie, il se rend chez son concessionnaire, pensant devoir faire changer la batterie. Le concessionnaire se contente alors de procéder à une simple reprogrammation du BMS, payante la plupart du temps, afin que celui-ci utilise la totalité de ce qui est disponible, ce qui fait effectivement remonter l'autonomie, et regonfler le SOH.

Bien sûr cette astuce a ses limites puisque dans cet exemple on ne peut le faire qu'une fois, mais on comprend que le SOH fourni par le BMS est décidément loin d'être une vérité absolue et que les constructeurs ne souhaitent pas que leurs clients y accèdent trop facilement. 


Solutions

Accéder soi-même au SOH

Ainsi le SOH n'est, à ce jour, jamais indiqué sur le tableau de bord d'un véhicule électrique (sauf sur la Nissan Leaf, mais avec une forte imprécision), pour les raisons invoquées précédemment. Pour y accéder, il est nécessaire d'utiliser un boitier électronique extérieur qui va être capable de lire une foule d'informations, dont le SOH, par l'intermédiaire d'une prise de diagnostic, la fameuse prise OBD (pour "On Board Diagnostic") qui équipe maintenant tous les véhicules. De nombreuses solutions existent sur le marché, du simple dongle qu'on lira avec une application sur smartphone via le Wi-Fi à l'appareil sophistiqué avec écran tactile. (6)

Cependant accéder à l'information SOH ne la rend pas plus fiable, mais compte tenu de ce que nous avons vu du fonctionnement technique du BMS, on peut au moins essayer d'améliorer son exactitude.


Rendre le SOH plus précis

Pour bien calculer le SOH, nous savons maintenant que le BMS a besoin de mesures réalisées aux extrémités de la plage de recharge, autrement dit de calibrations.

En pratique, une calibration va consister à :

- Faire un relevé préalable du SOH via un boitier externe.
- Rouler suffisamment pour que la charge restante s'approche de 0%, sans bien sûr tomber en panne d'énergie.
- Laisser le véhicule au repos "un certain temps" afin que la batterie se refroidisse, l'idéal étant une température interne de 20°C.  Un boitier externe est en général capable de la fournir.
- Lancer une charge jusqu'à 100%. Il ne faut pas se contenter de 98 ou 99%, et si jamais la charge se fige avant les 100% c'est que le BMS est un peu perdu dans ses calculs. Dans ce cas, il faut débrancher et rebrancher jusqu'à les atteindre. Pour ceux qui ont le choix entre charge lente ou rapide, il faut utiliser la charge lente afin que le BMS puisse se réétalonner finement.
- Faire un nouveau relevé du SOH et constater la différence avec le premier relevé. Le second devrait être plus proche de la réalité.

L'opacité qui entoure les algorithmes du BMS ne permet pas de savoir si une seule calibration est suffisante pour obtenir un SOH immédiatement plus précis. Il est plus que probable que le BMS effectue des lissages pour éliminer des erreurs ponctuelles. Par contre on sait très bien que mettre la batterie dans un état de décharge trop bas (moins de 10%) nuit à sa longévité. Il faut donc éviter de répéter les calibrations trop souvent.


Evolution des pratiques et de la législation

Concernant les agissements parfois discutables des marques et de leurs concessionnaires, les choses sont en train de bouger un peu. Par exemple Renault, via sa filiale Mobilize, commence à proposer des diagnostics en ligne (7), ce qui peut contourner l'incompétence de certains concessionnaires, et on a aussi vu apparaitre en Europe des sociétés indépendantes, comme Moba en France, pour les réaliser de façon plus objective (8).

D'autre part, la législation européenne, par la mise en place du futur "passeport numérique batterie", devrait contraindre les constructeurs à fournir la capacité réelle de leurs batteries et leur état de santé, entre autres (9 et 10).

Conclusions

Un boitier externe permet donc de connaître la valeur du SOH, en gardant à l'esprit que ce n'est qu'une estimation du BMS qui doit être préalablement calibré pour mieux travailler, et qu'elle peut être biaisée par la volonté du constructeur.

On peut espérer des évolutions positives, indispensables à l'information et à la confiance des consommateurs, par le développement de pratiques plus saines de la part des constructeurs, par la concurrence de sociétés indépendantes et par l'obligation légale d'information via le futur "passeport numérique batterie".

Sources

(1) Electropaedia - "Battery Management Systems (BMS)" (en anglais) : https://www.mpoweruk.com/bms.htm

(2) Exemple de développement d'algorithme pour le calcul du SOH : Thèse d'Aurélien Lièvre - "Développement d'un système de gestion de batterie lithium-ion à destination de véhicules "mild hybrid" : détermination des indicateurs d'état (SoC, SoH et SoF)"  : https://theses.hal.science/tel-01178049

(3) MDPI - "State-of-Charge Estimation with State-of-Health Calibration for Lithium-Ion Batteries" (en anglais) : https://www.mdpi.com/1996-1073/10/7/987

(4) Témoignages de diagnostics douteux
Véhicules électriques : http://www.vehiculeselectriques.fr/viewtopic.php?f=72&t=17191
Facebook : https://www.facebook.com/groups/twizyfans/posts/1724882684341726/

(5) Challenges - "Comment les constructeurs esquivent la garantie des voitures électriques" :  https://www.challenges.fr/automobile/dossiers/comment-les-constructeurs-esquivent-la-garantie-des-voitures-electriques_785612

(6) Exemple du Twiz O'Meter : https://lavietwizy.blogspot.com/2023/01/twiz-ometer-lecran-qui-en-dit-long-sur.html

(7) L'Argus - "Voiture électrique. Comment connaître l'état de santé de la batterie ?" : https://www.largus.fr/actualite-automobile/voiture-electrique-comment-connaitre-letat-de-sante-de-la-batterie-10945393.html

(8) Moba - "SOH batterie et capacité : ce qu’il faut comprendre" : https://get-moba.com/soh-batterie-et-capacite-ce-quil-faut-comprendre/

(9) Parlement européen - "Accord sur de nouvelles règles européennes relatives aux batteries" : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20221205IPR60614/accord-sur-de-nouvelles-regles-europeennes-relatives-aux-batteries

(10) L'argus - "Voitures électriques. Les batteries trop polluantes interdites en 2027" :  https://www.largus.fr/actualite-automobile/voitures-electriques-les-batteries-trop-polluantes-interdites-en-2027-10677395.htmlhttps://get-moba.com/soh-batterie-et-capacite-ce-quil-faut-comprendre/

6 commentaires :

  1. Réponses
    1. Christian Dehais24 janvier 2023 à 23:12

      Merci d'avoir lu et pour votre commentaire !

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  2. Comme d'habitude, un bel article qui fait le tour de la question. Après 10 ans de possession d'un Twizy 80. je peux témoigner que je coche toutes les cases:
    La gonflette du BMS à ma première demande de vérification par Diac (à la fin du leasing 3 ans!) les résultats et devis sans diag écrit. Le contrôle par un indépendant (Revolte) avec toutes les réserves sur la possibilité d'échange puisque pas de "panne" des cellules mais seulement une faible autonomie. Mon SOH je l'estime par la distance réellement parcourue additionnée à l'affichage des km restants, je reste dans les 50 km parcourus depuis charge pleine.
    Merci Christian.

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    1. Christian Dehais25 janvier 2023 à 09:55

      Bonjour et merci pour ce témoignage.
      Le bridage de départ des batteries neuves aurait pu se concevoir s'il avait été clairement et honnêtement expliqué dès le début comme étant une sorte de réserve accessible au bout d'un certain temps pour conserver des performances à peu près stables. Mais bien sûr ce n'est pas le cas, car décidément ce n'est pas dans la mentalité des constructeurs et de leurs concessionnaires. On cache, on prend les gens pour des imbéciles. Dommage.

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  3. Merci, Christian, pour cet article de fond.

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